Note de l'auteur: le texte qui suit est une tribune parfaitement personnelle qui n'engage la parole de personne hormis la mienne. Contrairement à plusieurs reportages publiés sur ce site, aucun port, aucune compagnie, aucune entité n'a été contacté ni impliqué dans cette rédaction. Pour des raisons évidentes de violence les commentaires publics sont désactivés sur cette page : n'hésitez toutefois pas à me contacter pour toute réponse. Mathieu BURNEL "C'est moche, ça pue, ça pollue." Cette grossière insulte qui a longtemps été adressée à la ville portuaire du Havre semble désormais caractériser le chemin suivi par l'opinion publique sur les navires marchands. En particulier dans les médias, cargos et surtout paquebots semblent subitement devenus Ennemi Public Numéro 1. Plusieurs secteurs ont joué en la défaveur du secteur : le premier fut sans conteste le naufrage du Costa Concordia en janvier 2012. Nous partons ici d'un monde ignoré, dans tous les sens du terme, voire chéri par les villes portuaires : jusqu'il y a peu, une augmentation de trafic dans n'importe quel port faisait la Une des journaux au même titre que la création de centaines d'emplois. On a très longtemps reproché aux ports de Marseille et du Havre de ne pas assez capter les flux marchands à destination de toute l'Europe (notamment au profit de Gènes et d'Anvers). Alors, pourquoi ce retournement subit ? La prise de conscience quant à la pollution marine est très récente. De la fumée des navires aux milliers d'objets retrouvés sur le littoral suite à une perte de conteneurs, en passant bien sûr par le gigantisme des navires, la Marine Marchande est la conséquence la plus visible et la condition sinequanon à la mondialisation. À ceux qui s'indignent devant le monstrueux navire transportant plus de 20 000 conteneurs j'adresse une question... Mais que contiennent ces vingt-milles boîtes ? Et où ce contenu termine-t-il ? Ce point est historique : les Égyptiens utilisaient déjà le Nil pour charrier les énormes blocs des pyramides. Sans leurs formidables vaisseaux, les Phéniciens - sans lesquels d'ailleurs Marseille serait peut-être restée une bourgade anonyme - n'auraient jamais bâti leur empire marchand. Mers et océans recouvrent sept dixièmes de notre planète : si l'Homme prétend "maîtriser" celle-ci, il ne peut le faire sans utiliser ses eaux. La croissance du trafic maritime ne vient qu'accompagner la croissance économique. Les échanges d'un continent à l'autre se multiplient, chacun en est conscient : ils passent bien quelque part. S'il est possible aujourd'hui d'acheter n'importe quel fruit exotique à n'importe quelle saison dans n'importe quel supermarché, c'est toute une chaîne logistique qui existe derrière - avec son bilan carbone abominable... dont le navire est loin d'être le pire élément. Qu'on le veuille ou non, en vue de leur capacité et de leur rendement moteur, les cargos demeurent le moyen de transport le plus propre, devant le rail (du reste encore loin de relier l'Amérique à l'Europe) et loin devant la route et les airs. Cependant bien devant les cargos, ce sont les navires de croisière qui aujourd'hui subissent le feu des médias. Une ironie du sort d'ailleurs : avec environ 400 unités, les paquebots représentent une bien infime partie des 50 000 navires marchands en service ! Le paquebot a cependant un point faible : il se voit. Il s'agit d'un choix déjà ancien : alors que porte-conteneurs, rouliers, pétroliers et transporteurs divers sont généralement renvoyés au fond d'un terminal écarté des centres, paquebots et car-ferries, par contingence du tourisme et de l'accueil des voyageurs, ont depuis toujours gardé une place de choix à proximité des villes. Citons une nouvelle fois Marseille (la différence entre Fos sur Mer et le port citadin), Le Havre (le terminal croisière face à la ville), mais aussi Rotterdam (entre un port marchand s'étalant sur tout l'estuaire du Main et les paquebots accueillis en pleine ville). La problématique de l'image a toutefois une influence très constructive sur le respect de la mer par le secteur. Ainsi au-delà des lois imposées par l'Organisation Maritime Internationale (OMI) applicables à tous les navires marchands, l'Association Internationale des Compagnies de Croisière (CLIA) a créé un code de bonne conduite respecté par la quasi-totalité de la flotte mondiale. Parmi elles, aucun rejet de déchets liquides à moins de 12 miles nautiques (environ 23km - limite des eaux territoriales) ; y compris des eaux qui ne sont toujours pas systématiquement traitées à terre (cuisine et lavage). Quant aux déchets solides arrêtons-nous de suite : en dehors de la nourriture, jeter à la mer des poubelles est interdit depuis des décennies, bien longtemps avant que l'on ne se préoccupe du plastique à terre. De fait, lorsque 30% de ses citoyens admettent balancer de temps à autre des poubelles en conduisant... la France aura bien du mal à rétorquer. Cependant le monde de la croisière moderne incarne un aspect de notre société que l'on refuse de voir : le tourisme de masse. De manière générale le voyage enthousiasme la plupart d'entre-nous, et un voyage maritime tout autant. Une croisière est faite pour voyager, découvrir des lieux, des personnes, une culture inaccessible à notre domicile. À commencer par l'équipage : dans un livre destiné à l'École Nationale Supérieure Maritime je l'ai moi-même écrit. "Travailler sur un paquebot est une question bien plus riche que celle de l'argent [...] Il s'agit de suivre des navigations extraordinaires partout autour de la planète, de partager son existence quotidienne avec une communauté mondiale, polyglotte et multiculturelle. Du plaisir de se réveiller chaque jour dans un endroit différent, où vos hôtes prennent plaisir à vous accueillir et vous montrer leur vie quotidienne. D'une expérience où vous rencontrerez des Blancs, des Noirs, des Asiatiques, des Chrétiens, des Musulmans, des Indous, des Homosexuels et des Lesbiennes, des riches et des pauvres, des gens sympathiques et des gens insupportables... et où vous réaliserez à quel point cette communauté est formidable. C'est une expérience humaine que bien peu de gens regrettent, quelle que soit sa durée - quelques mois, quelques années ou même une vie entière. Une expérience qui vous fera oublier la peur des autres, vos idées reçues et votre sentiment de compétition entre les peuples. Une famille extraordinaire à rejoindre - puisqu'il s'agit de quitter la terre - mais tellement, tellement difficile à quitter." Le voyage est une expérience immanquable, quelle que soit sa forme, sa durée, sa destination : seulement le voyage exige un transport. Avec pas même trente millions de passagers par an, le monde de la croisière représente une goutte d'eau dans le paysage du tourisme (1,3 milliards de personnes en 2017). Et les critiques adressées à ce secteur sont largement extensibles à toute l'industrie... Un paquebot vous semble laid d'extérieur ; et un complexe hôtelier ? Il consomme beaucoup d'énergie ? Trouvez à terre une pension complète pour 6 000 clients plus écologique... Certains passagers ne visitent pas les ports visités ? Quid des resorts dont nombreux clients demeurent coincés entre leur chambre, la piscine et le/les restaurants ? La croisière n'a fait que suivre la démocratisation des voyages, en offrant des formules aujourd'hui autant - voire moins - chères que leurs homologues terrestres. Ainsi voici les solutions miracles : pour les cargos consommer local, pour les paquebots restreindre les voyages. Tout simplement changer notre mode de vie. Êtes-vous vous-mêmes prêts ? C'est urgent : mais chacun accusant son voisin, peu le font. 1) "Des HLM flottants"
Souvent de la bouche de personnes n'ayant jamais été à bord. Je pense que si le confort, les activités et l'entretien des logements sociaux tenaient comparaison, notre société serait bien différente. 2) "Une pollution incontrôlée" Le souvenir d'une faute qui a coûté bien cher à son armateur : https://www.cruiseindustrynews.com/cruise-news/16070-u-s-justice-department-fines-princess-cruises-40-million-for-pollution.html Pour en savoir plus sur les règlements en place : https://cruising.org/about-the-industry/policy-priorities/environmental-stewardship 3) "Aucun respect des océans" C'est également un point historique sur les navires : tri sélectif, interdiction formelle (y compris pour les passagers) de rejeter quoi que ce soit à la mer, sensibilisation en cours de croisière... Un voyage en paquebot est pour bon nombre aussi l'occasion de prendre conscience des règles de base pour le respect de l'environnement. 4) "Une flotte énorme" Comme expliqué dans l'article, la croisière représente aujourd'hui environ 400 navires et 30 millions de passagers : soit respectivement 0,8% de la flotte marchande et moins de 2% du tourisme mondial. 5) "Réservé aux riches" Je vous invite à comparer les prix des croisières avec celles d'un séjour terrestre en tout compris (hôtel + transports + nourriture + un spectacle quotidien) 6) "Réservé aux vieux" A voir sur le rapport annuel de CLIA, page 2 (âge des voyageurs) 7) "Personne ne descend" Une statistique vécue personnellement : AidaPrima au Havre (4 200 passagers à bord) - 55 bus en excursion en Normandie (environ 2200 personnes) - estimation de 1700 personnes en ville (1200 tickets de navette vendus + titres gratuits + piétons + taxis) soit 3900 - 93% des passagers à terre. 8) "Un équipage surexploité" À vrai dire cela varie d'une compagnie à l'autre : cependant avec une moyenne de 10 voire 12 heures de travail par jour sans week-end (soit 70h / semaine) le rythme est certes soutenu. Gardez cependant en tête que les travailleurs du bord sont nourris, logés, blanchis et n'ont pour temps "domicile-travail" que trois à cinq minutes... selon la vitesse des ascenseurs. Ensuite le travail à bord alterne avec des vacances à terre : selon les postes et les compagnies cela varie de 1 pour 1 (autant de temps à terre qu'à bord... soit six mois de vacances par an) à 8 pour 2. De plus le développement actuel de la flotte demande une main-d’œuvre colossale qui pousse les armateurs à des efforts... inespérés. 9) "C'était mieux avant" À l'opposé des mythiques transatlantiques, le paquebot France en tête, les paquebots de croisières ne sont pas conçus pour aller le plus vite possible. Ils se maintiennent souvent à une vitesse entre 10 et 20 nœuds (18 à 35 km/h), avec une propulsion qui s'adapte à la distance entre deux ports : ainsi un navire démarrera deux moteurs pour aller à 10 nœuds, trois pour 15, quatre pour 20... Ne perdons pas de vue que consommer moins de fioul est non seulement dégager moins de fumées... mais aussi générer moins de coûts ! Lorsque le transatlantique France est devenu le navire de croisière Norway, la première décision fut de diviser par deux l'appareil propulsif. 10) "Plus de paquebot à Venise = la fin du sur-tourisme" Le problème est le même que cité précédemment : une goutte d'eau... cependant visible. Le port de Venise reçoit 1,5 millions de passagers par an... La Cité des Doges plus de 20 millions ! Avec moins de 7% de la fréquentation globale, éloigner les paquebots de Venise n'aura pas grand effet sur les files continues de touristes visitant la ville. Les commentaires sont fermés.
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