Tribune
LA MARINE MARCHANDE
OUTIL CONTESTE DE NOTRE VIE CONTESTABLE
© ShipMap.org
Jeudi 5 décembre. En mer, Mer Égée, MS Rotterdam Quelle journée extraordinaire, et quelle soirée hors du commun… Décidément la perfection n’est pas de ce monde. La découverte de Marmaris, où nous faisions escale ce jour, restera parmi les plus belles découvertes de cette croisière. J’arrivais ce matin la tête remplie d’à-priori négatif, étant persuadé que la ville n’était qu’une station balnéaire sans intérêt. Mais dès les premiers pas hors du navire, j’étais conquis par la beauté des lieux. Nous avons fait relâche au fond d’une large rade entourée de montagnes, et ne communicant avec la mer que par un étroit passage sinueux. Nous avons passé la journée au milieu d’un paysage qui fait la fortune de la Scandinavie, la neige en moins et les vastes marinas en plus. Au réveil, j’eu l’impression d’être perdu sur un lac alpin, et ce ne sont pas les sapins verdoyants qui couvrent les flancs rocheux qui m’ont contredit. Marmaris est de fait la porte du parc naturel national de Turquie. Par un heureux hasard, je me suis réveillé assez tôt ce matin : dès dix heures, Mick et moi quittions le bord. Notre premier tour à terre fut consacré - une fois encore - au hors-piste, là où ne vont pas les touristes. En longeant la route qui semble relier le port à la ville via les hauteurs, nous avons déniché une piste, que nous suivîmes pour gagner en altitude. Peu à peu s’est offert à nous un superbe panorama sur la ville et sa rade, ainsi que sur notre propre navire : l’occasion pour de très belles photos. Cette excursion, au demeurant assez sportive, nous occupera sans mal toute la matinée : nous avons juste le temps pour un rapide tour à l’entrée de Marmaris avant de retrouver le Lido pour déjeuner. A la coupée, nous croisons David, notre ami DJ, partant se balader en ville. Sa tenue décontractée change franchement de l’uniforme dans le quel on le voit d’habitude ! Nous le recroiserons en débarquant après le repas. Nous passerons tout l’après-midi en ville, et serons d’ailleurs de retour à bord presque à l’heure limite. La vieille ville a su nous garder un peu plus longtemps que prévu ; nous nous sommes en particulier attardés sur la visite de la forteresse médiévale. Transformée en musée du patrimoine antique, elle garde un aménagement modeste mais se prête parfaitement à l’exposition de l’histoire de la région. Les remparts, qui délimitent la végétation verdoyante de la cour, offrent une très belle vue à la fois sur la ville et sur la rade. La vieille ville est de fait assez réduite : agrégée autour de la colline dominée par la citadelle, elle se fait talonner par les espaces plus modernes. Elle demeure cependant un lieu de promenade très agréable, ombragé et semblant festif le soir - compte tenu du nombre de restaurants et bars, j’aurais beaucoup aimé y passer une soirée en pleine saison. Mais Marmaris a repris ses habits d’hiver, en dépit du soleil qui illumine les lieux : un compatriote qui a installé sa boutique au cœur du souk nous indiquera d’ailleurs que notre escale est la dernière de l’année. Le port suit un calendrier semblable à celui des ports du nord-ouest de l’Europe : l’hiver est boudé par les paquebots, qui sont de retour à partir de mi-mars. C’est un port de taille raisonnable, recevant une petite centaine d’escales chaque année - un nombre presque négligeable en comparaison du trafic à Rhodes, sur l’île qui fait face à la rade. Après la visite de la citadelle, nous poursuivrons par un tour avancé dans la ville. Elle nous est apparue avant tout verdoyante : dès que l’on s’est éloigné des zones commerciales ou historiques, cours verdoyantes et rues larges remplacèrent les étroits passages. En plein cœur de la ville, à mi-parcours de l’avenue principale, se dévoile un large jardin potager. Cette ambigüité permanente entre ville et campagne offre un cadre de vie exaltant, malgré l’architecture souvent morose des immeubles. Nous aurons tout juste le temps de pousser notre exploration jusqu’à l’amphithéâtre municipal : pour les occidentaux que nous sommes, qui associons instinctivement le mot lui-même à la notion de vestige antique, il fut assez surprenant de découvrir cette construction au style sévère utilisée comme scène de plein air. Marmaris organise chaque année plusieurs festivals, de musique, danse et théâtre : la ville s’est dotée d’un outil parfait pour profiter simultanément de la culture et du doux climat. Suite à la visite de l’amphithéâtre, nous redescendîmes vers le front de mer puis suivîmes celui-ci jusqu’au port. Sur tout le parcours, de la plage de sable jusqu’à notre navire, s’est alors illuminé des couleurs du crépuscule ; un spectacle magique qui vient nous rappeler en douceur qu’il est temps de regagner le bord. La majorité des passagers ont déjà regagné la chaleur des emménagements lorsque je retrouvais Mick au pont 6. La sortie de rade fut plus impressionnante encore que je ne l’imaginais ; notre navire a déjà gagné en vitesse lorsqu’il commence à manœuvrer entre les rochers. Après un tour rapide en cabine, nous rejoignîmes le Crown Nest pour l’approche de Rhodes. L’île grecque est extrêmement proche des côtes turques ; pendant quelques instants, le sentiment de transiter dans un détroit se substitue à celui de naviguer en pleine mer. De jour, il est même possible de distinguer les différents navires en escale. La demi-heure passée au Crown Nest, dans un quasi silence, fut un moment très fort. Je ne m’appesantirai pas sur les événements qui suivirent le passage à Rhodes, et qui nous amèneront Mick et moi au salon MIX à l’heure qui marque d’habitude le service de notre second dessert. Nous dirons simplement que le système d’open-seating présente quelques inconvénients : notamment la possibilité de ne dîner en compagnie que d’une personne ; voire… en compagnie de LA personne, celle que tout le navire cherchera plus ou moins à esquiver. Un individu grossier, hautain, méprisant… Méprisable à mon goût ; le véritable stéréotype du « US guy » vu par une satire européenne. Nous nous prendrons congé après le plat principal, et ne manquerons pas de glisser au steward une prière sincère de ne plus jamais nous faire dîner en cette mauvaise compagnie. Notre détour infructueux au Lido me rappellera douloureusement l’âge moyen de mes compagnons de voyages, puisqu’il est impossible de trouver le moindre grignotage à 21 heures. Moi qui adore habituellement dévorer quelquechose en quittant le théâtre, me voici privé de dessert ce soir. Nous aurions pu utiliser le service en chambre, gratuit et disponible à toute heure, mais à quoi bon regagner la cabine alors qu’il y a tant à faire… C’est ainsi que nous sommes établis depuis maintenant une bonne demi-heure au MIX. Une très belle trouvaille ceci dit : Neil, le pianiste et chanteur, est largement digne des éloges que lui fait David. Son répertoire est vaste et multicolore ; il illumine son interprétation d’une émotion que peu savent utiliser. D’un commun accord, nous décidons avec Mick de dîner désormais une demi-heure plus tôt, afin de profiter pleinement de ces concerts quotidiens. De plus, nous serons plus nombreux au restaurant, ce qui nous épargnera sans doute d’autres expériences de ce genre.
Mais d’ici le prochain dîner, quel programme ! 22 heures approchent, nous allons bientôt rejoindre le théâtre pour un spectacle musical qui s’annonce bluffant et électrique. Demain, nous serons à Héraklion, mythique cité de la Crête : ce sera notre dernière étape en Méditerranée orientale, puisque nous rejoindrons ensuite Malte et l’Italie. Après six jours de bord, nous marquons la moitié de notre périple.
0 Commentaires
Laisser un réponse. |
La rubrique de MathieuDeux fois pas mois environ, retrouvez ici un reportage signé Mathieu Burnel, ex-auteur de Ships in Cherbourg. |