Tribune
LA MARINE MARCHANDE
OUTIL CONTESTE DE NOTRE VIE CONTESTABLE
© ShipMap.org
En mer, Mer Égée, MS Rotterdam Il est presque minuit ; je termine sur la piste de danse du Crown Nest cette calme journée. Nous faisions aujourd’hui escale à Kusadasi, ville de taille moyenne située au milieu de la côte ouest turque. De très nombreux paquebots viennent faire escale ici l’été, bien qu’en cette arrière-saison nous fûmes seuls. La grande majorité de nos compagnons de voyage ont passé une demi-journée à Ephèse : cette grande cité gallo-romaine figure parmi les principaux sites antiques de Méditerranée. Je l’ai visitée il y a trois ans, lors d’une croisière sur l’Arion : c’est un site très impressionnant, tant par sa superficie que par l’atmosphère qu’il dégage. Les passagers reviendront d’ailleurs presque tous ravis de leur excursion. Pour notre part, Mick et moi avons réduit notre exploration matinale à un tour au cybercafé. Je souhaite garder un œil sur l’actualité maritime française ; compte tenu des prix pratiqués, il est beaucoup plus intéressant de faire un tour à terre que d’utiliser le service proposé à bord. Presque tous les ports d’escale sont équipés d’un cybercafé, voire d’une couverture wifi gratuite. A Kusadasi, vous trouverez sans mal un établissement à prix modeste, à l’entrée du terminal croisières : nous nous y rendîmes juste après un tour au Wang Gang Theater, où prenait place ce matin une démonstration de cuisine. Ces séances, à peu près quotidiennes, sont animées par notre hôte David - un homonyme du DJ - et réalisées par un grand chef du bord : ce dernier détaille ses méthodes de travail et donne ses astuces et conseils personnels pour réussir les plats. La séance dure environ trois quarts d’heure, et se termine par un échange de questions/réponses ouvert à tous. Après notre déjeuner au Lido, nous sommes de retour en ville, d’abord pour une ballade digestive qui nous mènera au château fermant la rade au sud. Pour y accéder, nous suivons le front de mer puis la digue sur laquelle accostent les petits navires à passagers. La côte turque est très escarpée dans cette zone : une île grecque est d’ailleurs si proche qu’elle forme un minuscule détroit, non plus ouvert que la Seine au Havre. Nous l’avions d’ailleurs emprunté avec l’Arion il y a trois ans ; c’est une navigation impressionnante, qui attire un grand nombre de touristes. Nous passerons l’essentiel de l’après-midi à déambuler dans la ville, vaste dédale d’étroites rues piétonnes entourées de commerces halant les touristes. J’ai la surprise de découvrir un bazar complètement endormir, peuplé de chats plus que d’Hommes et assombri par les grilles grises des magasins fermés. Nous ne nous attarderons pas ici, d’autant que la pluie nous a rattrapé et investi peu à peu la ville. Nous regagnons donc le front de mer pour retrouver le port, puis retraversons le vaste centre commercial - élément demeurant la première chose que rencontrent les passagers. Je fais un dernier tour en ville vers 17 heures, pour envoyer quelques cartes postales : il est à peine 17.45 alors que nous appareillons sous une bruine glaciale. Avant de dîner, tandis que Mick profite des ponts extérieurs couverts, je suis resté écouter le jazz à l’Ocean Bar : le trio est très doué, même s’il se cantonne à une ambiance très conventionnée. Ici, pas d’explosion de piano ou de solo prolongé : la musique constitue avant tout l’atmosphère du lieu ; elle s’efface aisément derrière les conversations et le bruit des verres. Pour ma part j’aurais beaucoup aimé un concert plus prenant… J’en discutais à l’instant avec David, qui me conseille de passer au Crown Nest juste avant le dîner. Les HAL cats sont un groupe constitué d’une batterie, d’un chanteur, d’un guitariste et d’un flûtiste.saxo, prend possession des lieux et enflamme l’atmosphère. A voir dès que possible donc. Au restaurant, nous nous sommes exceptionnellement trouvés seuls. L’heure de 19.30 n’est peut-être pas la meilleure pour dîner : nombreux convives arrivent vers 19 ou 20 heures, si bien qu’il est trop tôt ou trop tard pour les rejoindre. Cependant, je ne manquerai pas de lier connaissance avec un couple dînant à proximité : d’origine marocaine, ils discutaient en français pendant que je bavardais en anglais avec Mick… Quelle curieuse impression que d’entendre sa langue maternelle après cinq jours dans un environnement entièrement anglophone ! Nous avons discuté pendant presque tout le repas, an grand daim de Mick, qui n’y comprenait plus grand-chose. Nous nous sommes d’ailleurs recroisé après le spectacle, avant de monter au Crown Nest, et avons à nouveau brièvement discuté : ils semblaient aussi ravis que moi de cette échappée rapide au « all british ». Le spectacle de ce soir était remarquable. Dans l’ambiance enfantine des comédies musicales des années 80, trois jeunes femmes au foyer partagent leurs folles aventures. De la séance coiffeur interminable au casting pour le passage à la télévision, nous sommes touchés par l’intensité naïve et émotionnelle de l’histoire, et aussi par la qualité des chants. Nous en discutons encore lorsque nous arrivons au pont 6... Rapidement interrompus par le spectacle qui s’offre alors à nous.
J’avais repéré pendant le repas que le ciel était ce soir particulièrement dégagé : mais c’est peu dire. Dans le noir absolu de la proue se dessine une infinité d’étoiles, qui apparaissent les unes après les autres, au fil de notre accoutumance à l’obscurité. Un commandant français a dit un jour « vous verrez qu’en mer, il y a beaucoup plus d’étoiles qu’à terre ! » Effectivement, à plusieurs dizaines de kilomètres de toute pollution lumineuse, le ciel est ce soir envoûtant. Mick me quitte après une petite quinzaine de minutes, complètement gelé, mais je ne parviens à me détacher de ce tableau magique qu’aux alentours de 23.30. D’ailleurs, cette fin de notes me commande d’y retourner sans tarder.
1 Commentaire
|
La rubrique de MathieuDeux fois pas mois environ, retrouvez ici un reportage signé Mathieu Burnel, ex-auteur de Ships in Cherbourg. |