Tribune
LA MARINE MARCHANDE
OUTIL CONTESTE DE NOTRE VIE CONTESTABLE
© ShipMap.org
La croisière moderne, démocratique, gigantesque. Pour beaucoup un rêve : une porte vers des navires toujours plus grands, plus impressionnants, dotés d'attractions inimaginables à bord d'un bateau il y a encore dix ans. Sur les derniers nés de Royal Caribbean, Norwegian Cruise Line, Carnival... les passagers passent jour et nuit dans des lieux magiques. D'ailleurs, même sur les petits paquebots, durant les activités prenantes comme le spectacle du soir, il est très difficile de se sentir à bord : garder conscience que l'on est sur un navire, se sentir en mer, dans un environnement pas forcément favorable. De plus en plus nombreux sont les professionnels de la mer qui s'inquiètent du gigantisme croissant, du nombre de passagers à gérer en cas de crise à bord, et rappellent que l'Océan est un espace aussi féérique que dangereux. C'est dans ce contexte hésitant et assez tendu qu'est apparue il y a une semaine, dans un journal local, une étonnante tribune. Un voyageur rentre d'une croisière de Noël de six nuits, du 20 au 26 décembre, organisé par Costa à bord du Serena ; il n'hésite pas à parler d'un "cauchemar dû à un manque d'organisation". Deux évènements l'ont marqué, et justifient selon lui - et selon le journal le relayant - son violent réquisitoire. Le premier a lieu le 24 décembre : le Costa Serena fait alors relâche à Civitaveccia pour deux jours, alors que ses passagers sont transférés en bus vers Rome. Pour des raisons obscures que notre passager résume à un manque d'organisation de la compagnie, le transfert n'arrivera pas à temps au Vatican, et les excursionnistes ne pourront pas assister à la messe de minuit. En compensation pour ceux revenus bredouille, Costa a remboursé l'excursion et offert la visite de Rome le lendemain. L'histoire nous dit d'ailleurs que la dite cérémonie était diffusée le lendemain sur grand écran, ce qui a permis à nos passagers d'y assister - en différé certes. Nous ne nous appesantirons pas sur cet évènement, même s'il met en évidence, à mon avis, un certain manque de pragmatisme chez le plaignant. Multiples peuvent être les raisons qui perturbent un transit par autocar, notamment un 24 décembre... Désolé de vous décevoir si vous partez bientôt en Italie, mais ce pays connait autant que nous les embouteillages. Quant à prévoir une marge plus grande, cela signifierait naviguer plus vite - donc gaspiller du carburant - pour sans doute faire attendre à quai les passagers... Laissons ici le débat concernant les horaires d'escales, ceux-ci étant le travail d'un personnel expérimenté et bien plus compétent que nous. Le second évènement cité m'a plus marqué ; sans-doute est-il plus dans mes cordes. Notre voyageur s'insurge contre l'annulation d'une escale à Savone et le transfert du débarquement à Gènes. Ici, la raison évoquée par Costa est aussi simple que concrète : la tempête Dirk, qui finissait de traverser l'Europe Occidentale (pour mémoire, elle a touché la France à partir du 21 décembre), interdisait l'accès au port de Savone. Des vents très violents ont touché la Méditerranée ce jour, et le trafic maritime a de fait été sensiblement perturbé. Au-delà du problème maritime se posait un problème logistique : d'après d'autres passagers, ceux-ci très satisfaits de leur croisière d'ailleurs, l'aéroport de Nice (d'où repartaient plusieurs groupes dont notre plaignant) était lui-même fermé. Costa a préféré dérouter son navire sur Gènes en réorganisant tous les transferts dont elle était en charge (incluant le bus pour Nice). La question qui me vient alors est : quid ? Notre passager aurait-il préféré débarquer en pleine tempête, en espérant que son navire arrive sain et sauf à quai ? Qu'il se rassure : l'attente pour débarquer à Savone aurait été équivalente à sa "retenue à bord" à Gènes. Le transit de trois milliers de passagers ne se fait malheureusement pas en cinq minutes... Mais au-delà de ça, je m'inquiète. Cet article, relayé par un journal local au près d'un public ignorant le monde maritime, qui ne manquera pas de faire un lien (absurde certes) avec les mésaventures du Concordia, montre que l'autorité de la compagnie et la prise de mesures de sécurité sont aujourd'hui remises en doute par les passagers. Il est incroyable de devoir le rappeler : aucun voyageur à bord n'est en droit, même moral, de critiquer une décision venant d'un état-major expérimenté en vue d'assurer la sécurité du navire - et par là, de ses passagers. Notre plaignant semble n'avoir aucunement conscience du travail en aval de ce changement de programme : en quelques heures, Costa a dû trouver des vols, des autocars, même un port pour accueillir le transfert de trois mille passagers, cet événement revenant à plusieurs milliers d'euros. Une escale ne s'annule pas pour le plaisir. Il est alarmant de voir un passager aussi peu conscient de l'enjeu que représente la sécurité d'un navire transportant plus de 4 000 personnes (passagers et équipage), et encore plus de voir un journal relayer cette inconscience. Arrivera-t-on au point où l'on refusera d'évacuer un paquebot en perdition à cause du manque de confort que cela implique ? La navigation n'a jamais été aussi sûre ; j'espère sincèrement que nous ne nous apprêtons pas à faire marche arrière. Mathieu BURNEL Co-rédacteur PassengerShips et élève marine marchande Pour en savoir plus :
Article de presse relayant la plainte : http://www.aisnenouvelle.fr/article/departement/avis-de-tempete-sur-une-croisiere-costa
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