Tribune
LA MARINE MARCHANDE
OUTIL CONTESTE DE NOTRE VIE CONTESTABLE
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AJ : Alice Jouen --- JF : Juliette Fischer --- PS : PassengerShips PS : D'après vous, quels sont les atouts et les difficultés d'être une femme dans ce métier ? JF : Il y a quand même, par moment, une difficulté physique. Certains travaux sont durs physiquement... et on ne sera jamais des hommes. Heureusement d'ailleurs ! L'avantage, c'est le même que dans la vie : la force en moins, mais une espèce de méticulosité et de finesse au travail. Il ne faut pas hésiter à en tenir compte. Quand il y avait des bidons à transporter, ou un travail physique, un mécanicien le faisait pour moi... Mais pour quelque-chose de méticuleux, on venait me chercher. La véritable difficulté qui revient à chaque embarquement, c'est la première semaine. Prouver qu'on vaut bien un homme. Tout cela a dû changer aujourd'hui, je vous parle d'il y a trente ans... Mais une fois cette valeur prouvée, ils étaient d'une gentillesse particulière, ils avaient des petites attentions. Par contre, on devient vite celle qui écoute les autres, c'en devient une seconde nature. AJ : Moi j'aime bien cela. On connait mieux les gens, on les anticipe... C'est magique ! Cet atout c'est l'intelligence émotionnelle. Savoir s'intégrer au départ, ne pas être dérangeant, mais être utile quand on peut. Après ça vient tout seul, plus de question à se poser. JF : Il faut réussir à trouver sa place.... Tout le monde n'y arrive pas. Il y a des femmes pour qui ça parait impossible.... D'autres que ça n'intéresse tout simplement pas. C'est pour cela je pense, qu'on n'atteindra jamais la parité : de la même façon que certains métiers intéressent moins les hommes. Notre place, finalement, on l'a trouvée quand l'équipage dit "oh mince, j'avais oublié que tu étais là !" après avoir dit une bêtise qu'une femme ne doit pas entendre. Là, on a gagné. PS : La large dominante masculine est-elle difficile à vivre pour une femme ? JF : Non ! Pour moi, vaut mieux ça qu'une large dominante féminine. AJ : Je pense qu'un environnement professionnel masculin est beaucoup plus adapté à notre caractère. PS : Dans votre carrière, avez-vous déjà rencontré des problèmes liés à votre condition de femme ? AJ : Quand j'ai voulu faire l'hydro, mon père s'est renseigné, il m'a emmené voir le patron de la CGM. Et ce dernier m'a dit que c'était tout-à-fait possible.
JF : Ça revient souvent. Quand la première femme est rentrée, en 1973, ils lui ont dit non, vous ne pouvez pas faire l'hydro. Mais elle a montré que ce n'était pas marqué "sexe masculin" sur les pré-requis... et finalement elle a pu rentrer. Encore aujourd'hui d'ailleurs, certains armements ne sont pas prêts à embaucher une femme. Je me souviens d'un déjeuner où un Capitaine d'Armement m'a fait comprendre qu'il n'y était pas favorable. AJ : Heureusement, ce capitaine n'est que de passage dans notre vie. Certains c'est les femmes, d'autres les barbus... J'ai même eu ça moi, un qui n'aimait ni les femmes ni les barbus. JF : Cela dit, même si je ne suis pas féministe, je trouve que la place de la femme dans la marine est bien meilleure qu'ailleurs. Ici, et ça a toujours été, on a le même poste pour le même salaire. Encore aujourd'hui, ce n'est pas le cas dans toutes les professions. AJ : Finalement, là où mon ressenti a été le plus fort, c'est quand j'ai eu mes enfants. Mon mari et moi naviguions de nuit, l'un devait lever le pied pour un moment... Et en l'occurrence c'est moi. Lui l'aurait fait, mais pour moi c'était spontané. C'est là que j'ai senti un vrai choix à faire. JF : A bord par contre, j'ai eu un embarquement très difficile. Le Capitaine a carrément fait des commentaires comme quoi je serais plus à ma place dans le secrétariat. Et c'était le tout début de ma carrière... Très peu de temps de sommeil, les travaux les plus ingrats... Mais cela m'a formé le caractère, j'en suis ressortie plus forte. Et puis plus tard, j'ai croisé un lieutenant qui s'est excusé parce qu'à l'époque personne n'avait réagi.. Cela m'a fait plaisir. Heureusement, après j'ai fait le pétrole. Deux mois et demi sans escale, là c'était parfait. Le rêve.
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La rubrique de MathieuDeux fois pas mois environ, retrouvez ici un reportage signé Mathieu Burnel, ex-auteur de Ships in Cherbourg. |