Tribune
LA MARINE MARCHANDE
OUTIL CONTESTE DE NOTRE VIE CONTESTABLE
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Que vous soyez habitant de longue date ou touriste de passage à Cherbourg, vous aurez forcément remarqué l'imposant bâtiment art-déco qui abrite aujourd'hui la Cité de la Mer, noyé dans la ville en plein milieu du front de mer. La gare maritime transatlantique est aujourd'hui, de loin, le souvenir le plus imposant et le plus mis en valeur de l'épopée transatlantique dans l'hexagone. L'histoire du bâtiment : de la saturation du port à la construction du nouveau quai des paquebots, puis l'exploitation jusqu'en 1939Remontons au début du XXe siècle. Alors que la Première Guerre Mondiale a ruiné l'Europe, très nombreux sont ceux qui font le choix de quitter l'ancien Continent pour l'Eldorado des Amériques. Chaque jour, plusieurs milliers de passagers embarquent dans les ports, de l'Allemagne à l'Espagne, à destination du Nouveau Continent. Cherbourg tire son épingle du jeu : de par sa situation géographique, le port permet une escale rapide aux navires qui remontent vers l'Europe du Nord ou l'Angleterre, ne nécessitant pas un détour significatif comme c'est le cas du Havre ou de La Rochelle. Plusieurs compagnies célèbres fréquentent la Grande Rade : notamment la Cunard, la White Star - le Titanic a fait escale en avril 1912 - et la Royal Mail. Les navires, jusqu'à cinq par jour, mouillent à l'abri des intempéries tandis que les transbordeurs (dont le célèbre Nomadic) assurent le transit jusqu'à la gare maritime. Celle-ci se situe à l'époque à l'entrée du port, à quelques pas du Pont Tournant ; c'est un bâtiment modeste, qui dès 1917 ne parvient plus à absorber le flux de voyageurs. La Chambre de Commerce de Cherbourg, en charge de la gestion du port, décide en 1922 un agrandissement important des infrastructures portuaires. C'est alors que va naître le môle, et la gare maritime transatlantique : celle-ci sera inaugurée en grandes pompes les 29 et 30 juillet 1933. Le bâtiment prendra très rapidement le surnom de "Notre-Dame des Queens", en raison de ses mensurations hors du commun. 600 mètres de quais disponibles, gare maritime de plus de 3000 m² complétée d'un hall de gare long de 240 mètres abritant quatre voies, et campanile (tour) de plus de 35 mètres de haut qui domine l'ensemble des bassins cherbourgeois. La décoration intérieure et l'ornement des façades est entièrement de style Art-Déco, un style déjà très en vogue sur les paquebots à l'époque. Les escales vont multiplier, et les majestueux transatlantiques seront jusqu'à trois à faire escale simultanément au Quai de France. C'est la grande époque de la Cunard à Cherbourg : à partir de 1936, les Queen Mary et Queen Elizabeth viennent tous les quinze jours embarquer des passagers francophones vers l'Amérique. Les habitants s'intéressent de plus en plus aux paquebots, et un public toujours plus important salue les mouvements des navires de passage. De 1939 aux années 90 : la guerre et la fin de l'épopée des transatsOn s'en doute, la gare maritime transatlantique n'échappera pas aux ravages de la Seconde Guerre Mondiale. Avant de se replier, les Allemands sabotent le bâtiment qui s'écroulera presque entièrement. Les Alliés s'attacheront à la remise en état du port, en particulier du Quai de France, la reconstruction de la gare maritime en elle-même revenant à la charge du port. Dès 1946, le trafic transatlantique reprend, dans un terminal provisoire étroit et inconfortable. En 1952, la gare est remise en état, par le même cabinet d'architectes. Superficie moindre, ornement épuré au maximum, campanile abandonné... La splendeur d'avant-guerre a cependant laissé la place à un terminal fonctionnel, plus en relation avec le trafic de l'époque. Dès la fin des années 50, l'avion commence en effet à mettre en péril le transport maritime de passagers. Plus rapide, moins cher : celui qui n'était qu'une utopie en 1930 commence à constituer un mode de voyage de plus en plus démocratique et pratique. Cunard, alors principal client du port, projette même l'arrêt des liaisons transatlantiques régulières. Les QM et QE seront désarmés en 1967 et 68, laissant le môle et la gare à ses fantômes. À Cherbourg, on mise désormais sur d'autres trafics : c'est en effet le début de l'ère du transmanche, qui fera vivre le port jusqu'à la fin des années 2000. Il faut libérer de la place pour les nouvelles activités ; la Chambre de Commerce, propriétaire des lieux, va mener plusieurs chantiers de démolition, qui aboutiront à réduire la gare maritime au tiers de ses dimensions d'origine. Il faudra attendre la troisième campagne, concernant le Hall des Trains, pour que la population cherbourgeoise réagisse et se dresse contre la perte de ce patrimoine exceptionnel. De 1990 à aujourd'hui : le renouveau de la croisièreEn 1989, un projet de musée océanographique voit le jour : il sera finalisé sept ans plus tard, lorsque l'ancien sous marin nucléaire Le Redoutable vient compléter la scénographie envisagée. En 2002, la Cité de la Mer ouvre, occupant le rez de chaussée de la gare maritime et le Hall des Trains. Le musée sera rapidement reconnu nationalement, et deviendra l'attraction touristique majeure de Cherbourg. En 2004, le Queen Mary 2 choisit Cherbourg pour sa première venue en France : l'évènement marque un tournant dans l'histoire du port et de sa gare maritime. La ville redore son blason maritime, et se lance dans un vaste programme de rénovation de la gare. Le terminal croisières, occupant la partie historique de cette dernière, sera inauguré le 6 décembre 2006. Aujourd'hui, le Quai de France reçoit une vingtaine d'escales par an. Les navires de passage sont de tout style, des petites unités (Kristina Katarina, navires de Silversea) aux plus gros paquebots modernes (RCCL, Costa...). Ils restent généralement une dizaine d'heures à quai : les croisiéristes partent en excursion vers toute la Basse-Normandie, notamment pour les Plages du Débarquement et le Mont Saint Michel. Beaucoup restent à Cherbourg, où ils bénéficient d'un accueil chaleureux et souple des habitants. Depuis fin 2006, les paquebots en escale utilisent à nouveau le terminal croisières historique. Celui-ci est un point de départ privilégié pour les croisières ; plusieurs têtes de ligne y ont pris place depuis cinq ans (Cunard et MSC en particulier). Malheureusement, les derniers renforcements de la lutte anti-terroriste a conduit à l'exclusion totale du public autour du paquebot, rendant de plus en plus rares les panoramas sur ce dernier. Les appareillages restent des moments privilégiés, même si la perspective sur le navire est aléatoire. Sources : coll. perso Archives CCI Cherbourg Cotentin La Gare Maritime de Cherbourg, G. Destrais (éd. Isoete) Pour plus d'infos : http://cherbourgescale.over-blog.com/ Les commentaires sont fermés.
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La rubrique de MathieuDeux fois pas mois environ, retrouvez ici un reportage signé Mathieu Burnel, ex-auteur de Ships in Cherbourg. |