Un aller-retour chargé en émotion. Le dernier, entre Saint-Malo et Portsmouth, du Bretagne. Le dernier d’un navire connu dans le paysage malouin, après 35 années de service sous les couleurs Brittany Ferries. Nous embarquons ce dimanche 2 novembre, au Naye. Partagé entre Brittany Ferries et Condor Ferries, ce terminal, avec ses deux passerelles, assure la jonction entre Saint-Malo et Jersey, Guernesey et l’Angleterre. Depuis plus de vingt ans, il voit passer chaque jour le Bretagne, en provenance et à destination de Portsmouth. « J’ai grandi avec vue sur ce navire » nous décrit Loïc, lieutenant navigation à bord. « C’est le premier que j’ai dessiné ! » Brittany Ferries est en plein renouvellement de sa flotte : après les Galicia, Salamanca et Santona, elle s’apprête à recevoir le Saint-Malo, qui assurera la liaison quotidienne entre l’Angleterre et la cité corsaire à partir de février. Le remplacement du Bretagne est une étape clé pour la compagnie bretonne. « Le navire a marqué à jamais notre flotte » décrit Jean-Marc Roué, Président de Brittany Ferries. En 1989, la compagnie utilisait uniquement des navires d’occasion, surtout adaptés au fret. Elle commande alors aux Chantiers de l’Atlantique un car-ferry : un prototype, dessiné spécialement pour les lignes transmanche. « le Bretagne arrive comme un OVNI dans le monde du ferry ! » décrit Jean-Marc Roué. « C’est le premier cruise-ferry, alliant l’efficacité du car-ferry avec le confort de la croisière. » Le navire inaugure la première série de navires neufs pour Brittany Ferries : il sera suivi du Normandie en 1991 et du Barfleur en 1992 puis des Mont Saint Michel et Pont-Aven au début des années 2000. « Le Bretagne a inspiré tous les autres navires de la flotte » décrit Joseph Hardouin, qui fut le premier Commandant du navire. À 10h30, notre appareillage est accompagné de longs coups de corne. Même sous un ciel très couvert, le départ de Saint-Malo est spectaculaire : le chenal pour l’accès au terminal du Naye serpente entre les rochers de la baie, au milieu de l’Estuaire de la Rance. Nous laissons sur bâbord Dinard et son impressionnant casino : sur tribord veille la Cité corsaire et ses remparts. À l’arrière du pont 10, un bagad salue ce dernier départ sous des airs bretons. La traversée de la France à l’Angleterre se fait de jour : une charmante navigation entre les Îles anglo-normandes et le Cotentin. « Trois routes sont possibles, selon le temps et le courant » explique Loïc : « la première passe tout à l’ouest, nous apercevons Guernesey sur tribord. La seconde passe entre Jersey et Guernesey, puis rejoint le Raz Blanchard. La troisième longe la côte du Cotentin, de Granville à la Pointe de la Hague. » Nous suivons la seconde sur cette traversée : vers 12h, nous apercevons à tribord les côtes de Serq, petite sœur de Guernesey. Mais le passage le plus impressionnant se déroule en début d’après-midi : entre l’île d’Aurigny et le Cap de la Hague, le Raz Blanchard forme un étroit passage, véritable goulet de courant. « C’est l’élément déterminant de notre traversée » décrit Ronan Grimaux, Commandant du navire. « Quand il est favorable, on peut faire la traversée sur un moteur ! Un jour comme aujourd’hui, on utilise les quatre. » Comme bon nombre de ses congénères modernes, le Bretagne est propulsé par plusieurs moteurs : de quoi adapter la puissance selon les besoin – et ne pas « brasser de l’eau pour le plaisir » comme le décrivent les mécaniciens. Le Cap de la Hague marque notre entrée en Mer de la Manche. Aux Îles et trait côtier se substitue le rail, véritable autoroute maritime empruntée chaque année par plusieurs milliers de navires. Alors que le vent se lève, les derniers fous quittent les ponts extérieurs pour se mettre à l’abri. Le Bretagne reprend de nombreux éléments des grands paquebots – à moins que ce ne soit l’inverse ? Outre les espaces extérieurs, l’arrière tribord du pont 8 est occupé par une charmante promenade intérieure, d’où de large sabords permettent d’admirer la mer – au chaud. Nous atteignons Portsmouth en fin d’après-midi. L’émotion est palpable, alors que le navire n’y reviendra potentiellement jamais. Des remorqueurs nous accueillent de leurs jets dès l’entrée du chenal. Amarré au poste contigu au nôtre, nous salue le Salamanca : sur son pont supérieur, un BYE-BYE BRETAGNE est écrit en code des signaux. En passerelle, l’équipe de quart agite les pavillons bretons tandis que vibrent les cornes de brume. Une courte escale nous permet d’accueillir les passagers du retour : parmi eux, de nombreux amateurs de car-ferrys venus spécialement pour l’occasion. « Ce navire est formidable, unique ! » nous décrit l’un d’entre eux. Parmi les fans, un groupe a spécialement fait imprimer un sweat avec une photo du navire et ses dates de mise en service et de fin d’exploitation : circule également un pin’s en bois, gravé de « un navire français sur une ligne unique. » À l’appareillage, nombreux se retrouvent sur les ponts extérieurs. Notre navire est à nouveau salué par le Salamanca et accompagné par les remorqueurs portuaires. Après l’évitage, au niveau de la Spinnaker Tower, c’est au tour du Mont Saint Michel, en provenance de Caen-Ouistreham, de saluer le Bretagne, pour sans doute leur dernière rencontre. Sur le môle de Bart Square, à la limite de Portsmouth et Southsea, plusieurs dizaines de personnes sont venues faire leurs adieux au navire qu’ils voyaient tous les soirs, depuis trois décennies. La traversée de nuit reprend de nombreux codes de la croisière. « On fait le retour à vitesse réduite » explique le Commandant Grimaux. « On n’a pas besoin d’arriver plus tôt : nos passagers profitent d’une bonne nuit. » Loin de l’exploitation d’une ligne courte, le Bretagne prend son temps, ses passagers aussi. La soirée s’ouvre d’un discours de Jean-Marc Roué, rendant hommage au navire et décrivant brièvement son successeur. « Comme le Bretagne, le Saint-Malo incarnera les valeurs de la région qu’il sert : sa culture, son patrimoine, son économie. » Brittany Ferries a décidé de doter le Saint-Malo d’une grande partie des œuvres d’art qui ornaient le Bretagne : de quoi intégrer l’âme du premier dans celle du nouveau. Outre l’art, c’est la plaque de chantier elle-même qui est confiée au bagad, au cours d’une cérémonie en tenue traditionnelle, présidée par le Commandant Hartouin. Le bagad l’amènera à bord du Saint-Malo à sa mise en service. Après un copieux dîner au restaurant principal, les passagers se retrouvèrent pour un spectacle traditionnel, conclu sur une danse bretonne collective. Les plus téméraires concluront la soirée sur un verre en promenade extérieure – tandis que les autres auront déjà rejoint leur banette. Le Bretagne rejoint Saint-Malo au petit matin, aux alentours de 8h. L’épais brouillard n’empêche pas un accueil chaleureux du port, pour sa dernière escale commerciale. Deux remorqueurs nous accueillent de leurs jets, admirés par de nombreux passagers sur le gaillard avant. Une fois à quai, le débarquement suit son déroulé habituel, tel une cérémonie désormais opérée depuis trois décennies. Une cérémonie à l’atmosphère émue, alors que le navire se vide de ses derniers passagers de la compagnie bretonne. Il partira le soir même vers Le Havre, pour quelques travaux et ses changements de couleurs, vers un nouvel armateur – pas encore annoncé.
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